Je suis minoritaire, je le sais. Peut-être que tout le monde applaudit à l'initiative des musées américains d'exposer des chefs-d'œuvre de leurs collections dans la rue: "Jusqu'au 31 août, 58 tableaux et photos célèbres sont exposés à New York, à San Francisco et le long des autoroutes. L'ambition d'"Art Everywhere" est d'attirer le public dans les musées", lit-on dans l'Express-L'Impartial du 25 août 2014. Douglas Druick, directeur de l'Art Institut de Chicago souligne: "Notre espoir est que ces apparitions éphémères d'art dans les rues incitent les gens à aller voir les chefs-d'œuvre".
Pardonnez-moi mais tout cela est une fantasmagorie inutile. Surtout parce-qu'elle annihile la magie et le mystère des tableaux en les réduisant à de simples images. De plus, elle tente de persuader le public que la peinture, l'art en général, n'est rien de plus qu'un cadre lumineux, telle une publicité. Les tableaux sont uniques, ils ont une aura, comme le disait Walter Benjamin, qui, à l'époque du "tout image", est rabaissée au niveau de simple image, c'est-à-dire à de simple surface. Plus j'y pense, plus je réalise que ce qui me dérange est que le tableau soit traité à l'égal d'une information électronique comme à la télévision ou sur l'ordinateur.
Il se passait la même chose lorsque la Pinacothèque Nationale de Grèce distribuait par le journal "To Vima" des reproductions, aussi ridicules que fidèles, au large public. Il y a toujours le danger du populisme lorsqu'on cherche à éduquer le public. Car avant d'éduquer le public, il faut d'abord l'initier. La "démocratie" dans l'art fonctionne souvent comme un boomerang.
Les œuvres d'art doivent toujours être vues dans un lieu spécifique, même dans une prison! A cette époque de grand embarras face à la mise sur pied de grandes expositions (même Beaubourg refait une rétrospective de Dali, un artiste autant populaire que surestimé), j'ai vu à Avignon une exposition extraordinaire. La Collection Lambert en Avignon a organisé du 18 mai au 25 novembre 2014 "la disparition des lucioles", une exposition à la prison Sainte-Anne. 110 artistes environ sont présentés dans les cellules des trois étages de cette prison désaffectée, fonctionnant comme le musée idéal des cauchemars, de la claustrophobie, de l'isolation, de la douleur du corps et de l'âme mais aussi de l'espoir de l'évasion. Pour les spectateurs, il y avait en même temps un sentiment d'enfermement et une procédure de catharsis. On y voyait quelqu'uns des noms habituels que non pas la pratique des muséologues mais l'usage des curateurs répète dans tous les coins du monde (Warhol, Carl André et Beuys nécessairement et Basquiat, Twombly, Fabre et Broodthaers à l'occasion). La plupart des artistes vivants ont choisi eux-même leur cellule. Quel symbolisme! L'installation de Miroslav Balka dans la cour était tout simplement géniale. Il s'agissait de la résurrection de chacun sans métaphysique. De même que les œuvres d'Anselm Kiefer, de Wei-Wei, du couple Kabakov, du groupe Claire Fontaine, Roni Horn, Belinde De Bruyckere et Kiki Smith. De plus, les curateurs ont ingénieusement mis en valeur les œuvres de Pasolini, de Boltanski, de On Kawara, de Jean Genet et de Louise Bourgeois.
L'exposition se lit à différents niveaux, comme le voudrait Foucautl: niveau sociologique, politique, anthropologique, psychologique. Mais il s'agit surtout d'un grand spectacle, un théâtre dans le théâtre puisque le procès de monsieur Josef K. continue et se perpétue tel une mise en abyme.
Une profonde théâtralité mais pas une fantasmagorie.
Δεν υπάρχουν σχόλια:
Δημοσίευση σχολίου