Monsieur le
directeur,
comme
vous le relevez justement dans vos articles relatifs à
la Grèce, mon pays, en tant que maillon faible de la zone euro, est
le cible non seulement d'injures racistes de la part des puissants
mais est également utilisé
comme cobaye pour leurs politiques futures. Il
se passe donc quelque chose de pareil à la situation entre Romands
et Suisses-Alémaniques, ces derniers affirmant: « Die Welsche
sind die Griechen der Schweiz » (L'Hebdo, 8.3.2012, Lettre
ouverte de Charles Poncet,Weltwoche, etc ...). Est-ce
simplement une différence de culture (les
protestants du nord de l'Europe travaillent durement et vivent de
manière ascétique alors que les catholiques ou orthodoxes du sud
profitent du soleil et des allocations chômage)?
Ou s'agit-il de quelque chose de plus profond? Avons-nous affaire à
une jalousie métaphysique ou à une paranoïa consciente qui révèle
grosso modo les contradictions, le vide institutionnel et le défaut
démocratique des autorités de l'Union Européenne? Les Grecs ont
une responsabilité énorme face à la « misère » de
leur pays mais une responsabilité
analogue est à mettre au compte de nos partenaires européens. Ou
plutôt de la bureaucratie de Bruxelles et de la chancelière de fer
qui décident, tels des empereurs romains autocrates et non comme un
Sénat démocratique. Ils ont imposé à la Grèce, depuis trois ans,
un programme financier d’austérité des plus durs qui, ayant
augmenté de manière dramatique le chômage, la dépression
économique et le démantèlement social, a annihilé la moindre
productivité. Mais ils insistent malgré l'échec de ce programme
pour des raisons … pédagogiques ! Cette même
chancelière est intervenue de manière intolérable le 17 mai
dernier, juste après le proclamation des nouvelles élections
parlementaires, en exigeant (?) un référendum parallèle relatif à
la volonté des Grecs ou non de rester dans la zone euro (sic). Les
Grecs veulent l'euro et appartiennent au noyau de l'Europe plus que
n’importe quel autre pays. Ils sont le lien entre le présent et le
passé historique commun, entre l'Orient et l'Occident, entre le
classicisme et le modernisme. Madame Merkel n'a aucun droit
d'indiquer ou de commander à un peuple ou à un parlement ce qu'il
doit faire. C'est aussi exactement ce qu'a fait M. Schäuble à
la veille des élections du 6 mai avec comme résultat un report
massif des voix tant vers les partis de gauche que vers l’extrême
droite néo-nazie. (Je rappelle que quand, il y a 8 mois, le premier
ministre d'alors George Papandréou avait proposé un référendum au
couple Merkozi sur le 2ème memorandum, il avait proprement été mis
à la porte et remplacé par le banquier Papadimos. C'est alors que
Sarko avait déclaré n'avoir jamais vu Merkel si furieuse !)
Devrions-nous aussi proposer un référendum aux Allemands pour
savoir s'ils sont d'accord de provoquer une troisième guerre
mondiale économique ? La crise grecque fait chuter les bourses
d'Europe et d'Asie, est-ce vraiment la faute exclusive des Grecs ?
L'expérience grecque révèle la mauvaise direction prise par toute
la zone euro dont le futur semble bien sombre avec un tel leadership,
puisque la crise s'est maintenant étendue partout.
Et si le voile de Pénélope commence à se déchirer, aucun Ulysse
ne sera à même de le retisser comme avant.
Pour mémoire : L'historique des relations
germano-helléniques remonte assez loin. Après la Révolution
Nationale de 1821, des Bavarois furent chargés par les grandes
puissances de mettre en place les bases du nouvel état et son
premier roi, Othon, petit fils de Louis I de Bavière, était
allemand. Les Grecs identifièrent alors cette « Bavarocratie »
à l'administration ottomane et ils la haïrent. Et les Allemands,
qui étaient jusqu'alors ex officio les héritiers du classicisme
grec antique, virent avec malaise et déplaisir les Grecs
« modernes » se réclamer les descendants de Socrate
ou d'Alexandre le Grand.
Pendant la 1ère Guerre Mondiale, l'Allemagne se trouvait à la
source de la dichotomie nationale qui conduisit à la perte de l'Asie Mineure (Smyrne et environs), à
l'extermination de 600.000 civils et à l'exil de plus de 1.500.000
personnes. Le roi Constantin 1er, beau-fils du Kaiser, voulait la
Grèce aux côtés des forces de l'Axe alors que le premier ministre
Eleftherios Vénizelos du côté de l'Entente. Ce dernier se battit
allié aux forces anglo-françaises depuis Thessalonique qu'il avait
choisi pour capitale et, en vainqueur, signa le Traité de
Sèvres en 1919.
Durant la 2ème Guerre Mondiale, les Grecs résistèrent plus
longtemps que tous les autres peuples européens, pendant 6
mois, face aux Italiens puis aux Allemands, s'attirant ainsi
l'admiration de Churchill lui-même, mais également des représailles
sanglantes de la part des Nazis: les Allemands brûlèrent des
centaines de villages et exécutèrent des milliers de civils
(massacres de Distomo et Kalavrita par exemple), détruisirent des
infrastructures vitales, sans pour autant payer la moindre indemnité
de guerre (par la faute du gouvernement grec).
Aujourd’hui à nouveau les Allemands veulent avoir le destin de la
Grèce entre leur mains et complotent pour la rejeter hors de
l'Europe. Va-t-on les laisser faire ?
Manos Stefanidis
Professeur à l'Université d'Athènes
(ses articles sont publiés dans différents quotidiens et revues
littéraires grecques.)
(salaire: 1600 euros par mois)
Traduction
Véronique Maire
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